Malgré l’apparition de nouveaux instruments politiques pour enrayer la bétonisation des espaces, une étude de l’Iddri constate que la tendance reste à la hausse, avec l’équivalent d’un département français artificialisé depuis dix ans.
C’est le paradoxe de l’artificialisation : celle-ci va plus vite que l’élévation du PIB et de la démographie, comme le souligne une note de l’Iddri rédigée par la doctorante Alice Colsaet. Ce décrochage signale, selon la chercheuse, que l’espace est consommé de manière inefficace. Par exemple, la présence de logements vacants n’empêche pas l’artificialisation. Les lotissements continuent de s’étendre, même à proximité de villes en décroissance démographique.
Dans la majorité des départements, l’aménagement suit encore le modèle de l’étalement urbain. C’est un phénomène de fond qui n’est pas nécessairement synonyme d’une forte croissance urbaine, mais d’un étalement »quotidien » généralisé en France, porté par des modèles d’urbanisation consommateurs d’espace, tels que les zones pavillonnaires et les zones d’activités, mais aussi par la déprise des bourgs ruraux aspirés vers les métropoles qui voient leurs marges s’étendre. Si les moyens réglementaires ne manquent pas pour limiter l’artificialisation, ils sont trop peu contraignants. Et la fiscalité sur le foncier et le bâti en France est globalement favorable à l’artificialisation.
Certains territoires échappent pourtant à cette lame de fond. C’est le cas de l’Ile-de-France, où l’on observe une modération de l’étalement urbain depuis 2008. La raison en est la concertation et l’adoption du Schéma directeur régional d’Ile-de-France (SDRIF) en 2013, qui constitue un document exceptionnel. En Ile-de-France, le SDRIF, document d’urbanisme régional, encadre assez fortement les lieux à urbaniser. Avec des préconisations de densité : pas moins de 35 logements par hectare. Ce document a engagé une évolution positive dans la région francilienne en matière d’artificialisation.
Ce document particulier prouve qu’une réglementation régionale ou locale est en mesure d’enrayer le phénomène, si la volonté politique est là. C’est à partir des années 2000 et surtout depuis 2010 que la lutte contre l’artificialisation est progressivement devenue un objectif à intégrer dans les documents d’urbanisme. Les Schémas de cohérence territoriale (Scot) sont renforcés depuis la loi Alur de 2014 afin de limiter la concurrence entre les communes. Depuis la loi dite Grenelle 2 de 2010, les documents d’urbanisme sont progressivement »grenellisés » et doivent justifier la consommation d’espace et encourager la densification. Pour le moment, il n’existe pas d’étude d’impact de ces nouvelles dispositions.
Zéro artificialisation nette : un nouveau paradigme à échéance lointaine
Reste que la prise de conscience évolue, même si elle relève surtout de villes où la raréfaction du foncier était déjà la règle. »Ce sont les maires mais aussi les présidents d’intercommunalités et les collectivités locales qui, de plus en plus, ont la main pour décider de l’orientation qu’elles donnent à l’urbanisme. Cependant les collectivités locales reçoivent des pressions assez fortes pour artificialiser, elles ont prises entre deux feux, entre développement économique et conservation des espaces naturels. D’autant qu’elles sont en concurrence entre elles. Un promoteur peut toujours aller voir la commune voisine, qui sera plus ou moins accueillante, selon le caractère plus ou moins prescriptif du Plan local d’urbanisme. Par ailleurs, les outils locaux peuvent trouver leurs limites par rapport à un problème global », observe Alice Colsaet.
Avec la proposition de »zéro artificialisation nette » des sols mise en avant par le Plan biodiversité adopté en juillet 2018, un changement majeur intervient dans les politiques d’urbanisme. Ce principe stipule que toute nouvelle artificialisation devrait être compensée par une »renaturation » des espaces artificialisés inutilisés, dans un horizon temporel qui reste à déterminer.
»Cela signifie qu’en 2050 (si cet horizon est retenu) il faudra avoir cessé de construire sur d’anciennes surfaces agricoles, sinon il faudra compenser par une désartificialisation ailleurs », précise Alice Colsaet. Concrètement, cela voudrait dire démonter des zones d’activités vacantes ou débitumer des parkings surdimensionnés. Or déconstruire, traiter les déchets de chantier et dépolluer les sols sont des opérations coûteuses qui sollicitent un modèle économique adapté et une réflexion sur l’échelle. En clair, ces opérations relèveront-elles des Scots ou d’une échelle supérieure ?
Vers des densités vertes
»La tendance actuelle n’est pas à l’inflexion de l’artificialisation. Il n’y aura pas des changements radicals sans des nouvelles réglementations. Dotons nous d’un objectif de zéro artificialisation nette assorti d’une trajectoire, ce qui nous permettra de préserver les terres forestières et agricoles. Ces dernières devront elles aussi évoluer vers une gestion plus écologique et des paysages plus diversifiés », propose la jeune chercheuse.
Reste aussi à faire évoluer le discours sur la densité, car la densification peut être douce. Par exemple, les dents creuses et les friches en zone urbaine peuvent avoir un intérêt pour la biodiversité et participer aux trames vertes et bleues. »Il faut également faire attention à conserver des espaces verts urbains pour que la ville reste (ou devienne, dans certains cas…) ‘vivable’ », souligne Alice Colsaet.
Les pistes ne manquent pour y parvenir : densifier, mais en préservant au moins une partie de ces espaces lorsqu’ils font partie d’une continuité écologique importante, choisir des modes de densification, comme la surélévation, qui ne consomment pas d’espace libre, développer la végétalisation des toits, des bâtiments, des espaces publics ainsi que la renaturation des berges des fleuves, ne pas tondre partout, laisser des herbes hautes… »Somme toute, il y a de la marge pour créer des formes urbaines denses, mais aussi vertes et agréables à vivre et qui permettent à un certain nombre d’espèces de s’installer et de circuler ».
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