Les initiateurs ont un an pour recueillir le million de signatures nécessaire pour la convertir en proposition d’acte juridique. Cette démarche s’inscrit dans une approche contrastée de la question des sols de la part de l’Europe.
La Commission européenne a décidé le 27 juillet d’enregistrer l’initiative citoyenne européenne[1] «People4Soil», portée par un réseau d’ONG européennes, d’instituts de recherche, d’associations d’agriculteurs et de groupes environnementaux. «Nous sommes très inquiets par la dégradation croissante des sols aussi bien au sein de l’Union européenne qu’au niveau mondial», plaident les intéressés, qui citent pêle-mêle comme dangers l’érosion, l’imperméabilisation des sols, la diminution des teneurs en matières organiques, le phénomène de tassement, la salinisation, les inondations ou les glissements de terrain, avec des effets délétères tant sur la santé humaine, la sécurité alimentaire, les écosystèmes naturels, la biodiversité et le climat que sur l’économie.
Coûts faramineux
Cette initiative s’inscrit dans le contexte de l’abandon par la Commission, en 2014, de sa proposition de directive-cadre du 30 décembre 2006 sur la protection des sols, au prétexte de la simplification de la législation européenne et de la nécessité d’abandonner certaines propositions qui n’avaient pas trouvé d’aboutissement depuis des années. Bien qu’adopté en première lecture par Parlement européen, le projet avait été bloqué par le Conseil des ministres de l’environnement de décembre 2007 (notamment suite au rejet par l’Allemagne, l’Autriche, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et l’abstention de la France). En cause: le principe de subsidiarité et les coûts des inventaires des sites pollués, des diagnostic et des dépollutions qui auraient pu concerner environ 300.000 sites, évalués à plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Initiatives éparses
«La Commission a alors cherché à biaiser pour contourner l’obstacle, par une politique de ‘saupoudrage’ consistant à intégrer les sols dans diverses autres politiques[2], détaille le Pr. Philippe Billet, professeur à l’Institut du droit de l’environnement (IDE) de l’Université Lyon III et spécialiste des sols. Mais sans idée de contrainte.» Par ailleurs, précise le juriste, dans le cadre d’une initiative ‘Land as a ressource’, la Commission prépare un nouveau projet dédié aux sols, mais dans une visée essentiellement stratégique, avec des objectifs de réduction des dégradations des sols arrêtés à l’échelon communautaire, notamment en matière de recyclage foncier (réhabilitation et réutilisation des friches).
Etats non liés
«Cette situation ne doit cependant pas conduire à penser que les sols sont absents du droit communautaire, tempère Philippe Billet. Car ils sont intégrés dans de nombreuses directives[3], mais de façon sectorielle, sans idée d’une politique globale de protection.» L’échelon international s’ajoute à l’édifice, avec notamment l’année internationale des sols proclamée par l’ONU en 2015. «L’enregistrement de cette initiative ‘People4soil’ s’inscrit donc en continuité de ces politiques», estime l’enseignant, qui rappelle que si le processus aboutit devant la Commission, «les Etats, eux, ne sont pas tenus de donner une suite favorable à une proposition de la Commission issue de cette initiative.»
[1] Une initiative citoyenne européenne (ICE) permet aux citoyens d’interpeller la Commission s’ils réunissent plus d’1 million de signatures provenant d’au moins 7 Etats membres. Un nombre minimum de signataires est requis dans chacun de ces 7 Etats.
[2] comme la ‘Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources’ du 20 septembre 2009 repris pour l’essentiel dans le 7e programme d’action pour l’environnement 2013-2020: suppression d’ici 2050 de toute augmentation nette de la surface de terres occupées (objectif ‘zéro dégradation nette des terres’ de Rio+20), établissement par les Etats d’ici 2015, d’un inventaire des sites contaminés et d’un calendrier pour les travaux d’assainissement.
[3] directive 2010/75/UE du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles (directive IED) qui exige la réalisation d’un ‘rapport de base’ déterminant l’état des sols et la contamination des eaux souterraines avant la délivrance de l’autorisation administrative d’exploitation d’une installation classée; directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale qui vise les atteintes aux sols, mais par le biais d’un «risque d’atteinte grave à la santé humaine» ainsi que par l’atteinte aux «fonctions assurées par les sols» (notamment); directive 86/278/CEE du 12 juin 1986 relative à la protection de l’environnement et notamment des sols pour l’utilisation des boues d’épuration en agriculture.